Dans les coulisses de la fondation
ImagePhilippe Albèra
« Notre problème consistait à former un collectif. C’était très compliqué, tout le monde voulait tirer la couverture à soi… »
ImageJean-François Rohrbasser
« La danse contemporaine n’était pas très structurée, on cherchait, on essayait beaucoup de choses… »
Nicole Simon-Vermot
« C’est pour cela que nous avons décidé de créer l’ADC : pour solidifier la place de la danse contemporaine à Genève. »
Philippe Albèra, co-fondateur de l'ADC, coordinateur de la Salle Patiño (1984-1996)
« Noemi Lapzeson s’est installée à Genève en 1981. Elle a rencontré Michael Jarrell, nous avons été présentés et elle m’a convié à une de ses premières performances, The Apartment, chez elle : depuis son salon, nous la voyions évoluer sur son balcon.
Avec Jean-François Rohrbasser et le compositeur Robert Piencikowski, je venais de constituer Contrechamps. Pétillants, naïfs et sans le sou, nous avons proposé à Noemi de créer un spectacle à l’instigation de l’association, avec la collaboration du saxophoniste Eduardo Kohan. Une sorte de performance dansée sur de l’impro jazz.
Nous avons co-produit plusieurs de ses spectacles, comme le fameux solo donné en 1981 à la Salle Patiño, There is another shore, you know.
Son arrivée a provoqué un petit bouleversement en ville : son aura, sa forte personnalité, son expérience dans des compagnies prestigieuses ont cristallisé des énergies autour d’elle.
Assez vite, avec Jean-François, il nous a paru essentiel de monter une association pour demander des subventions auprès de la Ville de Genève afin d’offrir au public une programmation qui tienne la route et de donner à Noemi les moyens et les conditions de travail nécessaires à l’épanouissement de son talent.
Nous avons passé des soirées et des nuits entières à la Cité universitaire à discuter. Jean-François et moi connaissions le processus. Le regroupement était la seule voie pour obtenir des subventions. Notre problème consistait à former un collectif. C’était très compliqué, tout le monde voulait tirer la couverture à soi… Ces réunions informelles ont duré des mois. Quasi une année. Une saison, en tout cas. On y est arrivés aux forceps. »
Fabienne Abramovich, danseuse & chorégraphe
« Le militantisme d’Albèra dans la musique représentait le off hors institution, une grande poussée hors de l’intelligentsia de l'époque. L’art dit quelque chose et veut sa place dans la société. »
Fabienne Abramovich, danseuse & chorégraphe
« La danse n’a jamais eu de passé révolutionnaire à Genève: un peu comme s’il y a l’art d’un côté et ceux qui se battent pour l’art de l’autre.
On peut ne pas militer et être artiste. Mais pour moi, c'est inséparable. L’art est politique, on produit du sens, on s’inscrit dans une histoire collective, le mouvement collectif, la Cité. Il faut également agir sur le terrain politique pour que quelque chose se crée. Il n’y a pas de hors-sol social. »
Jean-François Rohrbasser, co-fondateur de l’ADC, coordinateur de la Salle Patiño (1974-1984)
« Mon rôle concerne surtout la préhistoire de l’ADC.
Directeur de la Salle Patiño, John Dubouchet m’avait proposé de coordonner les activités des diverses associations déjà montées et d’assumer une partie de la programmation, notamment celle de la danse. La danse contemporaine n’était pas très structurée, on cherchait, on essayait beaucoup de choses…
Un soir, Hugues Gall, directeur du Grand Théâtre, a débarqué dans mon bureau pour me demander de programmer du butô, et c’est toute la filière de cette danse japonaise d’avant-garde, née à la fin des années 50, qui a été initiée par la venue de la compagnie Sankai Juku en 1981.
Depuis peu, le Centre d’Art Contemporain qu’avait fondé Adelina Von Fürstenberg dans les sous-sols invitait également compositeurs et chorégraphes. Lorsqu’elle y a créé le West Broadway Festival en 1976, on a vu se produire Bob Wilson et Philip Glass, auréolés de leur triomphe avignonnais (Einstein on the beach), Nancy Topf et Trisha Brown, stars de la Modern Dance, Sol LeWitt, artiste minimaliste, etc.
Patiño commençait à être repérée comme lieu d’accueil de la danse contemporaine. Le bruit courait. Une certaine réputation se forgeait.
Des danseuses se présentaient, exposaient leurs projets, nous étions séduits : Noemi Lapzeson, Laura Tanner, Diane Decker, puis Fabienne Abramovich, représentantes de la filière locale derrière le duo Pit et Phil de Peter Heubi et Philippe Dahlmann (1978), tous deux ex solistes, entre autres, du Grand Théâtre. Nous avons d’ailleurs accueilli nombre de danseurs issus de l’Atelier chorégraphique du Grand Théâtre initié par Oscar Araïz – Tom Crocker et Jackie Planeix de Blue Palm, Guilherme Botelho, François Passard et son épouse Kim, Myriam Naisy…
Il y avait un terreau fertile mais il n’était pas cultivé. Philippe Albèra a eu l’idée de former une association dont le leader chorégraphique serait Noemi. Après de nombreuses discussions, Nicole (Simon-Vermot, administratrice à Patiño), Noemi et moi y avons participé mais je m’en suis retiré très vite : se profilait un conflit d’intérêt évident entre l’ADC et mon activité de programmateur à La Bâtie (de 1984 à 1994). »
Jean-François Rohrbasser, co-fondateur de l’ADC
« Tous les mouvements de la culture contemporaine ont été taxés de gauchisme. L’art contemporain étant une remise en question de l’art classique, les associations se sont construites contre l’art traditionnel – Contrechamps contre l’OSR, l’ADC contre le Ballet du Grand Théâtre, l’AMR contre le jazz conventionnel, etc. »
Nicole Simon-Vermot,
co-fondatrice & administratrice de l’ADC (1986-2022)
« En quittant le TPR de La Chaux-de-Fonds au début des années 80, je suis arrivée à la Salle Patiño renforcer l’administration.
Plusieurs associations y travaillaient : l’AMR & Ateliers d’ethnomusicologie, Contrechamps, le Centre de la Photographie… le programme couvrait la musique et la danse contemporaines, l’ethnomusicologie, un peu de cinéma, la photographie.
Jean-François Rohrbasser, puis Philippe Albèra, ont assuré la programmation de la danse. Noemi Lapzeson les conseillait.
Patiño n’avait pas l’exclusivité : La Bâtie, le Festival de Vernier dès 1983, ont accueilli des artistes. Mais nous voulions continuer notre programmation à la Cité universitaire, avec un ratio 50% local, 50% international. C’est pour cela que nous avons décidé de créer l’ADC, pour solidifier la place de la danse contemporaine à Genève.
Pudique acide du duo Monnier-Duroure est, pour moi, le spectacle marquant des débuts de l’association. Sinon, des strates successives, un peu vagues, restent, des sensations, des images…
J’ai administré l’ADC jusqu’en 2022, au sein d’une équipe petite mais soudée, très horizontale, où chaque place est hyper importante. L’histoire n’aurait pas été la même si nous avions supporté de multiples changements. Les associations ont besoin de stabilité pour se développer, d’un travail dans la continuité, d’une ligne et d’un état d’esprit qui perdurent. »
Prisca Harsch, danseuse & chorégraphe
« Noemi Lapzeson était à Patiño. Nicole était son administratrice, elle appuyait à fond son travail. Avant la création formelle de l’Association, « l’ADC » représentait une communauté de spectateurs, d’amateurs de danse contemporaine intéressés à la soutenir. Cet élan s’est ensuite structuré autour de Noemi, avec l’ADC, puis Vertical Danse et, enfin, grâce à l’entreprise de professionnalisation menée par Claude Ratzé. »
Révélatrice de talents, la Salle Patiño a joué le rôle d’incubateur d’associations, aidant artistes et groupements à les monter et les développer jusqu’à ce qu’elles puissent voler de leurs propres ailes. La plupart des institutions marquantes de la vie culturelle genevoise y sont nées :
- 1972 : Centre d’Animation Cinématographique
- 1974 : AMR & Ateliers d’ethnomusicologie
- 1974 : Centre d’Art Contemporain
- 1977 : Festival du Bois de la Bâtie
- 1977 : Contrechamps
- 1983 : Fonction-Cinéma
- 1984 : Centre de la Photographie
- 1986 : Association pour la Danse Contemporaine