60s–70s
Le bouillonnement
1960+
New York
Danièle Golette Barde, danseuse &chorégraphe
« J’allais prendre des cours très régulièrement à New York, chez Jeanette Stoner (technique Nikolais). L’été, il y avait des classes ouvertes à tous, les pros comme le boulanger du coin. Je me souviens d’un pizzaiolo italien, petit et très rond : tout à coup, je l’ai vu bouger et… c’était dingue ! Et d’un noir américain, énorme : jamais je n’ai vu autant de sensualité chez quelqu’un, ses mouvements étaient minimalistes mais superbes. Il y avait un enthousiasme général, ce côté just do it libérateur ! »
Diane Decker, danseuse & chorégraphe
« J’ai découvert la danse contemporaine à New York en 1974, chez Martha Graham et Merce Cunningham. Je n’avais pas l’intention de devenir danseuse. Ayant obtenu une bourse pour faire des études aux Etats-Unis, j’ai pris des cours de danse à l’université et rapidement décidé de m’y consacrer. La danse contemporaine a agi comme une révélation. J’ai adoré la technique Graham.
Cependant, en rentrant en Suisse, j’ai réalisé mon projet d’entreprendre des études de lettres à l’Université de Lausanne. Parallèlement, pour retrouver cette danse, j’ai cherché et découvert qu’il s’était créé un petit milieu contemporain lausannois : Viveca Nielsen, Dominique Genton ou Marie-Jeanne Otth, Philippe Saire et Fabienne Berger inventaient cette profession, essayaient d’exister en solo ou en collectif.
Puis, j’ai bifurqué et entamé l’école de psychomotricité à Genève. C’est là que j’ai rencontré Noemi Lapzeson, héritière de la technique Graham. J’ai donc suivi ses cours régulièrement à l’ERA. »
Fabienne Abramovich, danseuse & chorégraphe
« En 1985, je suivais les cours de Noemi Lapzeson depuis environ deux ans. Ses élèves pouvaient présenter des solos à la Salle Patiño : j’ai longtemps travaillé Marguerites, une pièce basée sur L’Homme Atlantique de Marguerite Duras. Je portais une jupe culotte jaune pâle trouvée aux Puces, absolument épouvantable mais pratique. Malgré les solos que j’avais enchaînés depuis l’Atelier Baudit, j’étais morte de trouille.
A la fin de cette année, Noemi me dit : ‘La Fondation des bières Kronenbourg (ou l’équivalent) offre une bourse pour New York. C’est la Fab que j’ai choisie !’
Elle avait vu le potentiel d’un parcours et m’offrait une chance incroyable. J'ai suivi différents cours: ceux de Trisha Brown, Steve Paxton, Merce Cunningham ou de release technique. C’était impressionnant. Génial. J’ai bossé comme une folle. J’ai invité Pauline de Groot pour un stage : le culot de la jeunesse ! C’était une période excitante, mais difficile avec l’explosion du sida. »
Noemi Lapzeson
Lauréate d’une bourse de la Juilliard School, Noemi Lapzeson arrive à New York en 1957. Elle y suit les cours de José Limón, Alwin Nikolais et Alfredo Corvino. A 17 ans, exilée de son Argentine natale et du cocon familial, l’adaptation est rude. Elle confie pleurer en lisant Balzac et se consoler en jouant du piano chez Philip Glass. Sidérée par une représentation de Clytemnestre, elle rejoint la compagnie de Martha Graham en 1959 et y reste huit ans comme soliste et professeure de l’école. Elle co-fonde ensuite la London School and Theatre of Contemporary Dance, à Londres, avec Robert Cohan. C’est là qu’elle rencontre Laura Tanner qui y suit un cursus, de 1975 à 1978, avant qu'elle ne file à New York passer trois ans chez Merce Cunningham.
Diane Decker, danseuse et chorégraphe
« On n’avait rien. On débroussaillait tout. Mettre en place des collectifs, des studios, des réseaux, des subsides, créer un milieu, former la critique. Tout était à inventer. Ce sont les meilleurs moments. »
1970-
ERA Études et Rencontres Artistiques
Jean-Pierre Pastori, journaliste
« Lieu de soutien et de provocation de la danse contemporaine, l’ERA a aussi joué un rôle en tant que centre d’enseignement. »
Hôtel particulier de la rue Charles-Bonnet imaginé comme une mini université artistique, l’ERA (Etudes et rencontres artistiques) d’Anita Collet-Oser a cristallisé les ambitions de la première génération des danseurs contemporains face au néoclassicisme de Balanchine et Patricia Neary au Ballet du Grand Théâtre – expression d’une « querelle des anciens et des modernes » selon Jean-Pierre Pastori.
Cours de modern jazz, ateliers, stages, salles de répétition et spectacles, le « centre chorégraphique » confié à Philippe Dahlmann (Phil du fameux duo Pit et Phil ) fourmille d’initiatives associant avant-gardistes locaux et internationaux.
Dans les années 70, les vedettes de l’école américaine y donnent des stages très suivis : Betty Jones (technique Limón), Susan Buirge (technique Nikolais ; elle dirigera le groupe Danse-Théâtre ERA dès novembre 1973), la néo-zélandaise Juliet Fisher (technique Martha Graham) ou le finlandais Jorma Uotinen (groupe de recherches de l’Opéra de Paris de Carolyn Carlson).
Invitée par Tane Soutter, Noemi Lapzeson y donne des stages puis des cours réguliers dès 1981. Y assistent Laura Tanner, Philippe Saire, Odile Ferrard, Diane Decker, à qui Noemi demandera rapidement d’assurer des cours pour débutants.
Toutes et tous utilisent également les salles du rez-de-chaussée pour développer leurs recherches, répéter et représenter solos et performances.
L’ERA fut fondé en 1970 pour offrir un lieu à Serge Golovine, démissionnaire du Ballet du Grand Théâtre. Sollicitée par plusieurs artistes, Anita Collet-Oser finit par investir l’ensemble de l’hôtel particulier et y installer un centre d’étude de la percussion dirigé par Pierre Métral et Stuff Combe, un studio d’art lyrique, un studio « d’essais et formation de l’acteur » animé par Dominique Catton (fondateur du Théâtre AmStramGram en 1974) et de multiples cours (musique, solfège, rythmique, gravure, atelier de création pour enfants).
Serge Golovine n’y restera qu’un an. Divergence de points de vue. C’est ainsi que sera mis sur pied le centre chorégraphique confié à Philippe Dahlmann et Asa Lanova (classique, moderne et modern-jazz) puis le groupe Danse-Théâtre dirigé par Susan Buirge.
Aujourd’hui, l’hôtel particulier abrite le Conservatoire populaire de musique, danse et théâtre.
Les ateliers
1973, stage d’un mois à l’ERA. Soliste au sein de la José Limón Dance Company, Betty Jones a créé de célèbres duos avec Fritz Lüdin et enseigné des dizaines d’années à la Juilliard School puis dans leur école basée à Hawaii.
Danièle Golette Barde, danseuse & chorégraphe
« Je suis un peu nostalgique de cette période, un monde expérimental qui donnait tellement de liberté et d’ouverture. »
Les répétitions
Les spectacles
1974-
Le Centre d’Art
Contemporain (CAC)
Adelina Von Fürstenberg, fondatrice du Centre d’Art Contemporain
« Il y avait toujours une raison d’être, de se réunir, d’écouter les artistes transmettre leur expérience. Il n’y avait pas de distance. 50 à 70 personnes venaient voir les performances, artistes, amateurs d’art, étudiants et professeurs d’université, scientifiques du CERN… aucune séparation entre l’artiste et son public, pas de discours tout faits mais des ‘bords plateau’ une bonne partie de la nuit. »
Adelina Von Fürstenberg, fondatrice du Centre d’Art Contemporain
« Dès 1974, j’ai monté le Centre d’Art Contemporain dans les sous-sols de la Salle Patiño – expositions temporaires, performances, concerts, conférences, projections de films, à l’image des Kunsthalle germaniques.
Le succès du West Broadway Festival, en 1976, consacrait l’influence multidisciplinaire et américaine du mouvement contemporain tout en avivant l’atmosphère de révolution artistique fomentée dans les sous-sols. Un retour aux sources, en quelque sorte, puisque le mouvement moderne était né au Tessin, grâce à la colonie de Monte Verità, avant de se réfugier aux Etats-Unis et en Amérique Latine aux débuts de la Seconde guerre mondiale. »
« Les amitiés créées à New York, lors de mes séjours estivaux, nous permettaient de combiner des invitations personnelles avec des tournées dans toute l’Europe. Le bruit circulait librement, la communication fonctionnait simplement entre les institutions. C’était spontané, on ouvrait nos maisons pour accueillir les artistes chez nous. »
Monte Verità
Colonie fondée à l’automne 1900 sur les hauteurs d’Ascona, au Tessin, Monte Verità prônait un mouvement pour une vie saine autour des médecines naturelles, du végétarisme strict, de l’égalité des sexes et de la vie communautaire.
Ce fut également l’un des principaux lieux de création de la danse d’expression moderne. Les cours de l’école d’été du mouvement, dirigée par Rudolf von Laban, s’articulèrent, de 1913 à 1919, autour de la danse, du chant, de la parole et des spectacles accueillant Mary Wigman, Isadora Duncan ou Suzanne Perrottet.
Nomade à partir de 1977, le Centre d’Art Contemporain s’installe entre 1983 et 1986 dans une halle de l’ancien Palais des expositions. « Les spectacles de danse minimaliste, aux décors très simples, côtoient nos performances. En réalité, la danse s’est plus développée que la peinture. »
Adelina Von Fürstenberg, fondatrice du Centre d’Art Contemporain
« Noemi Lapzeson a dansé le jour de l’inauguration du Centre d’Art à l’ancien Palais des expositions. Comme une sorte de bon augure, elle a dansé dans toute la salle. Un geste artistique qui entrait en résonance avec notre propre mythologie intérieure. »
1975–
L’Ecole de danse de Genève
L’Ecole de danse de Genève prolonge, sous cette nouvelle enseigne indépendante, l’Ecole de danse du Grand Théâtre exigée par Balanchine. Cédée par la Fondation du Grand Théâtre afin de satisfaire aux directives du Conseil municipal et de la Commission des beaux-arts et de la culture, lassés de constater que l’institution ne fournit pas au Ballet les recrues attendues mais accueille tout aussi bien les amateurs, elle est reprise en 1975 par Beatriz Consuelo et Claude Gafner. Dédiée à la formation de l’élite classique, l’école s’ouvrira progressivement aux chorégraphes de la scène contemporaine.
L'Ecole de danse du Ballet du Grand Théâtre fut établie en 1969, à la demande de George Balanchine lorsqu'il consentit à la requête de son ami Herbert Graf (alors directeur de l'institution de la place de Neuve) et prit la direction artistique du Ballet.
Si le cofondateur du New York City Ballet ne s'est pas installé à Genève, il s'y est rendu plusieurs fois (sans toutefois visiter l'école) tout en y déléguant une garde rapprochée - ses assistants (Una Kai et Alfonso Catà), ses étoiles (Patricia Wilde, Patricia Neary) et ses solistes (Linda Yourth, Wilhelm Burmann) comme professeurs de l'Ecole exigée.
Placée sous l’autorité conjointe de Beatriz Consuelo et Alfonso Catà (jeune maître du ballet), l’école s'installe dans d'anciens ateliers de couture du Grand Théâtre au 44 de la rue de la Coulouvrenière. Elle bénéficie, dès ses débuts, de l’enseignement de ces vedettes, comme celle de Wladimir Skouratoff (interprète de Serge Lifar et Roland Petit), partenaire de Beatriz Consuelo au Grand Théâtre. A l'automne 1969, "près de deux cents élèves, enfants, adolescents et amateurs, envahissent la rue du Stand vêtus du bleu Balanchine..."
Le parcours entre art et variétés de Brigitte Matteuzzi
Brigitte Matteuzzi
Elève de la Schweizerische Theatertanzschule de Zurich puis de Martha Graham, entre autres, Brigitte Matteuzzi commence une carrière de soliste pour la télévision dès 1967.
De 1969 à 1979, elle règle une centaine de séquences à la TSR pour les émissions de divertissement – les créations pour le petit écran étant plutôt rares et une différence très nette tracée entre « l’art » et « les variétés ». Elle remportera néanmoins le Prix Italia en 1976 pour Circuit fermé, produit avec le réalisateur Jean Bovon, néophyte en danse, sur une musique originale d’Eric Audibert – composée après le tournage.
Brigitte fondera son école, la Modern Jazz Ballet Brigitte Matteuzzi en 1974 (où Laura Tanner donnera des cours), puis sa compagnie Stepping Out en 1988, tout en enseignant la danse moderne et le jazz.
Prisca Harsch, danseuse & chorégraphe
« A la tête de l’Ecole, Beatriz (Consuelo) était une femme qui avait beaucoup d’ambition pour nous : elle venait des Ballets du Marquis de Cuevas et du Grand Théâtre. Très exigeante (nous devions nous peser une fois par semaine), elle nous faisait peur mais elle était extraordinaire, faisant preuve d’une fantastique capacité de don de soi, d’un amour passionné de la danse et du cinéma. Très classique au départ, l’Ecole s’est ouverte petit à petit aux chorégraphes contemporains : Laura Tanner ou Guilherme Botelho. »
Palliant avec élégance le manque de studios de répétitions, Beatriz Consuelo prête ses salles de danse aux danseuses et chorégraphes, la plupart intervenant dans ses cours.
1981. Fraîchement arrivée à Genève, Noemi Lapzeson y répète son fameux solo There is an other shore you know ; puis sa seconde collaboration avec le flûtiste Igor Francesco, Limbes : état vague en 1984.
1979–86
Atelier Danse Baudit
ImageDanièle Golette Barde, danseuse et chorégraphe
« J’ai rencontré Marie-Lou Mango pendant un stage de Carolyn Carlson à Avignon. Complémentaires, nous avons décidé d’ouvrir un atelier de danse aux Grottes et avons trouvé le lieu idéal dans une ancienne fabrique de voiles pour bateaux, rue Baudit. A cette époque, il émanait des Grottes une ambiance de quartier un peu marginale, très spontanée. On rencontrait des artistes, on faisait des fêtes, on dansait dans la rue.
L’atelier était ouvert à toute le monde, à la mode new-yorkaise : nous accueillions pour nos cours aussi bien des artistes que des architectes, des enseignants, des secrétaires, des comédiens, des étudiants, hommes, femmes… désireux de découvrir la technique Nikolais que nous pratiquions et l’improvisation.
De même pour les stages organisés : Paul Silber et Clara Harris (acteurs du Roy Hart Theatre, productions d’avant-garde sur l’extension du registre vocal) sont venus régulièrement, Bénédicte Billet (danseuse chez Peter Goss et Pina Bausch), Patricia Bardi (américaine férue d’impro), le groupe du stage Sheryl Sutton, Lenny et Frank Hatch (proposition de kinesthésie mise au point avec Moshe Feldenkrais, inventeur de la méthode éponyme), le percussionniste Ali Lagrouni (devenu peintre) qui rythmait nos séances de travail… »
ImageFabienne Abramovich, danseuse et chorégraphe
« En arrivant à Genève en 1980-81, je voulais reprendre contact avec la danse classique. J’étais très sportive, gymnastique artistique, course et surtout judo – mon beau-père pensait qu’une fille devait savoir se battre.
Le judo se définit par un éventail de règles, une morale et une équipe qui offrent le droit de perdre et l’excellence pour gagner. C’est un terrain extrêmement sain et bienveillant… que j’ai retrouvé chez Danièle et Marie-Lou aux Grottes, en y découvrant les ressorts de la danse contemporaine.Là, tout était possible : cours, invités, stages, groupes de travail et de recherche, il n’y avait pas de jugements, mais un bouillonnement, une émulation qui nous poussaient à exploiter toutes sortes d’idées, à tirer parti de nos ressources physiques et sensitives.
« Si la radicalité fait du sens, elle comporte ses limites en s’inscrivant dans un champ du devenir. »
Très vite, j’ai ressenti le besoin de faire des solos. Très encouragée, je retrouvais cette ambiance, ce soutien d’équipe. Mis à part l’espace off de La Bâtie, il n’y avait pas de lieu de représentation : nous avons profité des squats aux Grottes pour nous produire dans la rue, dans un bâtiment pour étudiants. »
Fabienne Abramovich
« J’ai été passionnée par le judo, un sport qui procure une expérience sensorielle extraordinaire car on ne travaille qu’avec le poids, les sensations d’équilibre et de déséquilibre de soi-même. Il faut rentrer dans la bascule de l’autre, utiliser l’énergie qu’il produit.
Cette pratique entre en résonance avec la danse contact que j’ai beaucoup développée. Mon premier stage véhicule le souvenir d’une semaine folle : plus qu’un bonheur, une grande découverte, la possibilité de travailler avec le volume d’un corps dans l’espace. Le ballet des porters et lâchers, l’offre à l’autre de la surface de son corps, permettent de travailler sur la confiance à deux, la verticalité, l’horizontalité et le volume. J’en rêvais la nuit… C’est peut-être le point de rencontre des différentes facettes de mon parcours. »
1980–
Le Ballet Junior
Prisca Harsch, danseuse & chorégraphe
« Je suis entrée au Ballet Junior avec la toute première volée, en majorité issue de l’Ecole de danse de Genève : Patrice Delay, Tamara Bacci, Gilles Jobin, Nicolas Maye et Anja Schmidt (futurs co-fondateurs de Vertical Danse)…
Beatriz (Consuelo) a fondé cette école de pré-professionnalisation pour apprendre à une quinzaine de futurs danseurs leur métier sur scène, avec des chorégraphes et des techniciens. Elle était en phase directe avec les désirs et besoins de son fils, Frédéric Gafner (futur Foofwa d’Imobilité), comme ceux de ses élèves. »
Pièces d’essai, travaux issus de l’atelier de composition de Noemi Lapzeson et workshop annuel dédié à leurs premiers pas chorégraphiques, les talents « juniors » de Beatriz Consuelo fonctionnent comme une troupe à part entière.
Prisca Harsch, danseuse & chorégraphe
« Nous avions comme professeures Laura Tanner et Noemi Lapzeson. Elles voyaient en nous une source d’inspiration, cette énergie de la jeunesse qui débarque. Noemi s’est tout de suite montrée encourageante et bienveillante, engagée dans une démarche de transmission et non de compétition. Avec ses solos produits à Patiño, elle nous avait fait découvrir la danse contemporaine. Mais très vite, nous nous sommes tournés vers la jeune danse française dont le Festival de Vernier produisait toute la "génération Bagnolet". On fréquentait les squats et l’ancêtre de l’Usine… le punk des années 80 versus l’arrière-garde du contemporain. »
Prisca Harsch, danseuse & chorégraphe
« Noemi nous fascinait. C’était un modèle de femme libre, inspirante… On a fait beaucoup de baby-sitting pour sa fille, on restait chez elle, tout était beau, chaque objet était choisi… Mes deux filles ont participé à ses spectacles. Ma cadette a interprété Noemi petite fille. On était dans une relation passionnelle avec elle. »
Prisca Harsch, danseuse & chorégraphe
« Ce groupe qui s’est constitué autour de Frédéric a forgé très vite un esprit de compagnie. On se sentait invincibles. On avait une passion absolue. Nous n’avons jamais rompu nos liens même si, plus tard, nous avons tous développé une carrière à l’étranger… Lorsque j’ai passé des auditions à Paris, en 1991, j’ai découvert que le Ballet Junior y était connu. On ne se rendait pas encore compte de son rayonnement. Aujourd’hui, des danseurs du monde entier y viennent parfaire leur formation. »
Prisca Harsch, danseuse & chorégraphe
« Nous avons bénéficié de beaucoup de liberté et d’opportunités parce que tout était à construire. Nous étions hyper rigoureux, on bossait comme des fous… mais on était comme une troupe. Le charme et la toute-puissance des premières fois… »
1981-88
L’Atelier chorégraphique
du Grand Théâtre
Inauguré le 24 mars 1981 au Petit-Lancy, le « spectacle de créations chorégraphiques » initié par la direction du Grand Théâtre, en collaboration avec l'Association pour le Ballet de Genève, s'entend comme une heureuse initiative qui vaut « toutes les écoles de chorégraphie du monde ».
Ils sont une dizaine, poussés par Oscar Araiz, alors directeur artistique du Ballet, à se lancer sur les scènes du Petit-Lancy puis de Patiño. « Il n’y a pas d’école de chorégraphie, c’est l’expérience qui fait le chorégraphe et le futur chorégraphe a besoin de cette opportunité de montrer son travail. Cela donne un bon coup d’énergie à la compagnie, stimule le chorégraphe, les danseurs, le public et moi aussi puisque je découvre beaucoup de surprises dans la compagnie », résume Oscar Araiz.
Fabienne Abramovich, danseuse & chorégraphe
« Certains danseurs cultivaient déjà ce désir formidable, salutaire, de produire avec des danseurs. Ce couple, Tom Crocker et Jackie Planeix, lancé dans cette dynamique de création, animait des bords plateau à Patiño après leurs spectacles. »
JACKIE PLANEIX & TOM CROCKER, DANSEURS & CHORÉGRAPHES
« Nous nous sommes rencontrés à l'école Mudra de Maurice Béjart et avons ensuite été engagés au Ballet du XXe siècle. Suivant notre formation pluridisciplinaire à Mudra (danse classique, contemporaine, flamenco, Bharata Natyam, théâtre, percussion…), nous avons eu envie de connaître d’autres chorégraphes et techniques. Nous avons décidé d'auditionner pour Oscar Araiz dont nous avions vu les Scènes de famille.
Au Grand Théâtre de Genève, nous avions peu de représentations (une trentaine contre 150 à 200 à Bruxelles), du temps et un trop plein d’énergie non exploité. Oscar a mis sur pied un atelier chorégraphique auquel nous avons participé. Puis, il nous a permis de nous lancer pour une soirée à la Salle Patiño. Le spectacle Blue Palme Dance Theatre est né, pour lequel nous avons créé trois pièces avec seize danseurs de la compagnie. »
« Le succès du Blue Palm Dance Theatre s’est avéré paradoxal : nos collègues désiraient poursuivre l’aventure mais Oscar voulait que nous cessions de travailler avec d'autres danseurs. Nous nous sommes alors interrogés sur nous, nos envies, notre vocabulaire chorégraphique et dramatique et avons décidé de monter une pièce en duo : ce fut Deux, également créée à la Salle Patiño. Grâce à ce refus d'Oscar, nous avions trouvé notre voie. »
Un vivier fertile
Participant au bouillonnement ambiant, cet atelier chorégraphique a fait bien des émules.
Neuf danseurs-chorégraphes évoluant avec Oscar Araiz ont réglé une soirée au prestigieux Festival de Vernier en 1987, devant une salle comble.
A l'instar de Jackie Planeix et Tom Crocker qui ont poursuivi leur travail de création à deux au sein du duo Blue Palm, d’autres personnalités ont pris leur envol, démarré par des solos, dansé pour Laura Tanner, Fabienne Abramovich ou Vertical Danse, créé des pièces individuelles ou pour le Grand Théâtre puis monté des compagnies : Guilherme Botelho et Didy Veldman (Alias en 1992), Manon Hotte (Atelier Danse Manon Hotte en 1993), Myriam Naisy (Cie Myriam Naisy/ L’Hélice) en 1998.
Blue Palm
JACKIE PLANEIX & TOM CROCKER, DANSEURS & CHORÉGRAPHES
« Hors Patiño, il n’y avait pas de salle ni de scène contemporaine. Tout était à construire. Nous sommes passés au Théâtre Off (Just in time), à Plainpalais, à la Maison de quartier de la Jonction (Deux positions, Danses en carré), au Festival de Vernier, à La Bâtie (Work in progress).
Parallèlement à nos créations, nous avons souhaité donner un retentissement à la danse contemporaine. Nouant des relations avec les écoles de danse, les scènes de la région (Thonon, Pully, Lausanne, Yverdon, Neuchâtel), les spectateurs. Loin de nous l’idée de nous enfermer dans une tour d’ivoire créative. »
Jackie Planeix & tom crocker, danseurs & chorégraphes
« Nous étions en pleine émergence, il n’y avait aucune contrainte esthétique. Genève nous a permis d'évoluer de manière indépendante. Contrairement à Paris, où les artistes devaient rentrer dans des normes définies par la politique de création au sein des centres chorégraphiques nationaux. Nous avons ainsi pu rester en duo et orienter notre travail vers un style très interdisciplinaire, alliant danse-théâtre-texte. »
Fabienne Abramovich, danseuse & chorégraphe
« La beauté d’agir, quoi qu’il en coûte. »
Myriam Naisy
Entrée au Ballet en 1981, Myriam Naisy participe en octobre de la même année au Blue Palm Dance Theatre à Patiño et à l’Atelier chorégraphique mis sur pied par l’ABG. L’année suivante, elle crée un solo pour le Festival du Bois de la Bâtie, premier d’une série de chorégraphies remarquées.
Alias
1994. Alias se produit à la Salle Patiño après avoir éprouvé sa maturité chorégraphique sur la scène de l’ADC-Studio en 1992 et 1993 (avec Simone Ferro, ex du Ballet du Grand Théâtre, 1982-92).
Au Grand Théâtre depuis 1987, Vanessa Mafé rejoint la compagnie Vertical Danse en 1991 puis fonde le groupe de performance expérimentale Co M-S-K avec Markus Siegenthaler (ex du Ballet du Grand Théâtre, 1982-92) et le plasticien Jondi Keane.
Un petit air d’Atelier chorégraphique ?
A partir de 1996, sous l’impulsion de Claude Ratzé, l’ADC passe ses premières commandes à de jeunes chorégraphes. En ce mois de mai inaugural, 3 pièces de 20 à 30 min sont à l’affiche de la Salle Patiño : Palabras, de Marcela San Pedro, L'Odeur de l’ombre de Stijn Celis, et Corpus Callosum du trio Vanessa Mafé-Markus Stiegenthaler-Jondi Keane.
Un désir de leur faciliter le passage du spectacle « d’atelier » ou de « studio » à celui des plus grandes scènes, comme « une réponse au Grand Théâtre qui faisait travailler à l’époque ses danseurs pour la création personnelle. » Ironiquement, sur les 3 pièces, 2 ont été créées par des « dissidents » du Grand Théâtre : Stijn Celis (1992-96), Vanessa Mafé (1987-91) et Markus Siegenthaler (1982-92) ont appartenu à l’institution.
Claude Ratzé, directeur de l’ADC (1992-2017)
1981-2017
Les cours
de Noemi Lapzeson
1981, fraîchement établie à Genève, Noemi est invitée par Oscar Araiz à donner des cours au Ballet du Grand Théâtre. Elle est également conviée par Tane Soutter à animer des stages à l'ERA qui se transformeront, très vite, en cours réguliers.
A partir de 1988, Noemi assure les cours de danse contemporaine ‘Avancés’ dans un des studios de l’ADC à la Maison des arts du Grütli.
ImageFabienne Abramovich
« Je vois cette femme, elle produit une évidence, un désir fort…
Je suis tout de suite allée suivre ses cours. »
ImageDiane Decker
« C’était une excellente pédagogue, dotée d’une autorité naturelle. »
ImageLaura Tanner
« Ses cours étaient notre point de rencontre, les participants étaient très ouverts, très enthousiastes. »
Fabienne Abramovich
« Je suis allée assister à une de ses premières performances, peut-être celle de la Galerie Andata Ritorno… Je vois cette femme, elle produit une évidence, un désir fort…
Je suis tout de suite allée suivre ses cours. Cette femme me fascinait. Son énergie, son charisme, sa dynamique et sa force, sa voix portait loin pour encourager, elle produisait un rythme terrien, ça tam-tamait dans le sol…
Il y a eu une rencontre. Un réveil. Elle donnait des petits noms, je suis devenue ‘La Fab’. Un jour, elle m’a demandé ce que je faisais, pourquoi je ne venais pas tout le temps… je lui ai répondu que je n’avais pas d’argent pour y assister régulièrement. Elle a répliqué : tu me donnes ce que tu veux et tu viens devant. A ma droite. Odile (Ferrard) était devant, Laura (Tanner) pas très loin et moi, sur la gauche, avec deux ou trois danseurs du Grand Théâtre. Plus tard, elle m’a offert cette bourse pour New York. Je n’y aurais pas forcément été sans son impulsion. Quel bonheur ! »
« Je suis partie à Amsterdam, chez Pauline de Groot, explorer la release technique et la danse contact. Avec la release technique, nous avons abordé la méditation visuelle sur le corps, la respiration, les cours sur le squelette et les articulations, les massages : tous les jours, allongés sur le sol, nous mémorisions les séquences les yeux fermés. Ce travail sur la perception de l’autre dans l’espace était fondamental, on a appris à reconnaître l’autre à travers le rythme de ses pas même si on ne le voyait pas.
Quand je suis revenue à Genève, Noemi m’a demandé ce que j’avais fait : elle avait tout de suite remarqué les changements profonds. »
Diane Decker
« J’ai beaucoup appris avec Noemi, y compris la dureté du métier. Elle mettait deux danseuses sur la reprise d’un rôle pour attiser la concurrence tout en ayant tendance à vampiriser – il lui restait un fonctionnement hérité de ses années difficiles chez Martha Graham.
A l’époque, elle avait quelque chose de la star, auréolée de la caution Graham et d’une vie de danseuse que personne n’avait en Suisse. Mais c’était une excellente pédagogue, dotée d’une autorité naturelle. Si elle n’avait pas été là, je n’aurais pas continué. Je lui dois une dizaine d’années déterminantes. »
Laura Tanner
« Rue Charles-Bonnet (ERA), chez Beatriz (Ecole de danse de Genève), puis au Grütli (ADC-Studio), il y avait des cours de danse, Genève n’était pas un total no man’s land. J’y ai croisé Diane (Decker), Philippe Saire, Odile (Ferrard)… Ils ont réuni pas mal de gens qui avaient besoin de s’entraîner. Notamment chez Noemi : ses cours étaient notre point de rencontre, les participants étaient très ouverts, très enthousiastes. Il y avait une envie, quelque chose qui allait jaillir. »
Pendant ce temps
En ville…
Diane Decker, danseuse & chorégraphe
« Le rapport au temps est étrange : sur le moment, cette conquête m’a paru longue. Puis le reste a été vite, tous les métiers autour se sont développés rapidement : administrateur de compagnie, scénographe, éclairagiste… »
1984. IIIe Rencontres pour la danse.
Maison des jeunes et de la culture du Bout-du-Monde.
Fabienne Abramovich, danseuse & chorégraphe
« On est nés de ce désir ardent des années 80, un désir irrépressible d’abattre les murs qui n’était pas dirigé contre le Grand Théâtre. A Genève, il n’y avait rien, on était jeunes, animés d’une joie de faire pour vivre, d’une énergie qui était là, pour soi-même. Cet élan vigoureux et nécessaire : c’était beau ! »